Page:Pellissier - Études de littérature et de morale contemporaine, 1905.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
ET DE MORALE CONTEMPORAINES

rien. Mais du moins, lui dit-on, vous qui avez découvert la gravitation des planètes, vous nous direz pourquoi elles tournent dans un sens plutôt que dans un autre. Il avoua encore qu’il n’en savait rien. » Et Voltaire conclut : « Plusieurs ont dit : Que ne sais-je pas ? Montaigne disait : Que sais-je ? » Faut-il citer ces lignes d’un article sur les causes occultes : « Toute cause sera éternellement occulte pour nous. Tout ce qui est en nous est une énigme dont il n’a pas été donné à l’homme de deviner le mot… Pauvres marionnettes de l’éternel démiurge, nous ne savons ni pourquoi ni comment une main invisible fait mouvoir nos ressorts », etc. Et, dans l’article du Dictionnaire philosophique intitulé Ignorance, après avoir énuméré une multitude de « questions » insolubles sur les choses les plus ordinaires : « Ô atomes d’un jour, s’écrie-t-il, en apostrophant les docteurs, ô mes compagnons dans l’infinie petitesse, nés comme moi pour tout souffrir et tout ignorer, y en a-t-il parmi vous d’assez fous pour croire savoir cela ? Non, il n’y en a point, non, dans le fond de votre cœur, vous sentez votre néant comme je rends justice au mien. Mais vous êtes assez orgueilleux pour vouloir qu’on embrasse vos vains systèmes ; ne pouvant être les tyrans de nos corps, vous prétendez être les tyrans de nos âmes. »

Ces docteurs auxquels Voltaire s’adresse, ce sont les métaphysiciens et les théologiens. Et il tient leurs systèmes en défiance. Tout système lui est suspect. Parmi les philosophes, ceux qu’il estime, qu’il trouve utiles au genre humain, ce sont ceux qui se bornent modestement aux résultats de l’observation et de l’expérience, qui n’y substituent pas leurs rêves en imaginant des théories, plus ou moins ingénieuses,