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LE LYRISME ROMANTIQUE.

que ce qu’elle a de purement formel. Présenté à Victor Hugo dès 1829, il avait débuté sous ses auspices ; il lui rendit jusqu’à la fin un véritable culte : sous le second Empire, il n’entra dans la familiarité de la princesse Mathilde qu’à la condition de rendre librement hommage à son dieu. Mais dans Victor Hugo, son admiration s’attachait surtout au virtuose ; les Orientales demeurèrent toujours son évangile poétique. Lui-même ne se fit une place à part entre les contemporains qu’en renchérissant sur l’art du maître en le rétrécissant pour l’enfermer dans une forme plus serrée et plus stricte.

Il n’est original que comme artiste. Son premier recueil s’inspire à la fois de Hugo et de Sainte-Beuve, de l’un par le côté moyen âge et oriental, de l’autre par certains essais d’élégie familière qu’un charme adolescent ne sauve pas toujours de la fadeur. Albertus est une « légende » extravagante où le poète développe une moralité banale à travers toute sorte de transitions bizarres et de digressions péniblement saugrenues. Nous y reconnaissons l’imitation de Musset ; la forme technique en est plus sévère, mais ce sont les mêmes affectations d’un dandysme auquel Gautier mêle pour sa part des grimaces macabres. Si la Comédie de la mort est d’un sentiment intense et profond, la matière lui en a été fournie par Gœthe, par Jean-Paul, par Quinet et le don Juan qu’il y présente offre une frappante ressemblance avec celui de Namouna. Théophile Gautier n’est vraiment lui-même que lorsqu’il se restreint à la poésie pittoresque et matérielle.

Ne lui demandons aucun fonds d’idées philosophiques. Sa philosophie tout entière consiste en des superstitions baroques et puériles. Il croit aux songes, aux sortilèges. Il croit un peu au Diable lui-même, et c’est sa façon de croire en Dieu. De tous les poètes romantiques, il est celui qu’ont le moins sollicité les problèmes et les systèmes. Victor Hugo puise dans le panthéisme des inspirations parfois étranges mais d’un grandiose effet ; Gautier en fait le cadre d’un précieux madrigal. Il ne voit dans les choses que leur aspect