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LE CLASSICISME.

du xviie siècle est au fond si peu chrétienne que les vrais chrétiens qu’elle renferme se croient obligés de rompre avec clic. Les protestants et les jansénistes, pour qui le christianisme est une vérité vivante, active, intérieure à l’homme, sont persécutés et traqués par l’Église officielle comme par le pouvoir séculier. La religion est livrée au jésuitisme, c’est-à-dire aux compromissions ingénieuses, aux distinctions d’une casuistique subtile, à tous les relâchements d’une morale accommodante. La société mondaine de l’époque ne conçoit Dieu que sous la forme d’une abstraction. Aussi reste-t-il complètement étranger à la poésie. On lui substitue les divinités de l’Olympe, et, par une dérision suprême, c’est au nom même de la foi chrétienne que Boileau impose la mythologie du paganisme. Il y a divorce irrévocable entre la religion et l’art. Si bien des poètes riment sur leur vieillesse les Psaumes ou l’Imitation de Jésus-Christ, la plupart ne voient là qu’une pénitence de pure forme. Aucune inspiration sincère ; leur conscience peut s’acquitter avec de plates paraphrases. Corneille a fait Polyeucte et Racine Athalie : l’on sait que « le christianisme » de Polyeucte « déplut extrêmement » aux beaux esprits contemporains, et, quant à Athalie, dont la chute fut éclatante, l’inspiration qui l’anime a sa source dans la tradition hébraïque, et le Jéhovah qu’elle célèbre est un Dieu de vengeance dont la majesté froide et jalouse opprime la foi même de ses adorateurs.

La raison abstraite règne dans tous les domaines de l’activité intellectuelle et morale. Les philosophes prouvent l’existence par la pensée, et ce qui pense dans l’homme réduit au silence ce qui sent. Le rationalisme cartésien, fidèle expression de la société contemporaine, supprime autant que possible les facultés affectives comme les réalités contingentes. Il tient en défiance tout ce qui peut troubler le jugement. Il voit dans les sens des organes d’erreur, et dans l’imagination une décevante fantasmagorie. Nulle assiette ferme que sur cette raison impersonnelle et constante, la même chez tous et partout, qui n’a ni caprices