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VOLTAIRE PHILOSOPHE

vous vous, lui demande-t-on, comme vous croyez que la ville de Stamboul existe ? Il se trouble. Le fond de ses discours est qu’il croit sans croire. Il se dit : « C’est impossible et pourtant c’est vrai ; je crois ce que je ne crois pas ». Accoutumé à prononcer, avec son mollah, certaines paroles dont le sens lui échappe, il s’aperçoit, en y réfléchissant qu’il n’a jamais cru[1].

On ne peut croire que d’instinct, ou bien après un raisonnement, ou bien en vertu de probabilités qui équivalent à la certitude. Mais la foi n’est rien de tout cela. Donc elle ne saurait être une croyance. Et qui croit par exemple que trois personnes en fassent une seule ? Celui qui prétend croire à la Trinité se ment à soi-même. Quand il dit : « Je crois », cela signifie qu’il respecte les mystères, qu’il se dessaisit de sa raison. À proprement parler, il ne croit point. Une incrédulité soumise, voilà sa foi[2].

Quant à la charité, elle est sans doute, lorsqu’on l’entend bien, la plus belle de toutes les vertus. Mais comment l’entend-on ? D’abord, nous avons avili ce mot divin en faisant de caritas, originairement amour, « le terme infâme… qui signifie l’aumône » (Lettre à Mme du Deffand, 20 janv. 1769). Puis, si la charité, comme nous l’apprennent les théologiens, consiste à aimer les hommes par rapport à Dieu, l’on peut craindre qu’elle ne cesse d’être une vertu humaine. Pourquoi donc ne pas aimer les hommes en tant qu’hommes, Dieu en tant que Dieu ? Ensuite elle semble, ainsi comprise, impliquer l’idée d’une récom-

  1. Dict. phil., Croire, XXVIII, 258 sqq., Sens commun, XXXII, 214, 215.
  2. Ibid., Foi, XXXIX, 443 ; Dernières Remarques sur les Pensées de Pascal, L, 373.