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POLITIQUE

les parts sont déjà faites, et qu’il peut aller se faire la sienne chez les Hottentots ou les Samoïèdes. Mais, chez ces peuplades elles-mêmes, il y a ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas. Un Bachelier demandant à un Sauvage : « Qui a fait les lois dans votre pays ? » le Sauvage répond : « L’intérêt public… J’entends que ceux qui avaient des cocotiers et du maïs ont défendu aux autres d’y toucher, et que ceux qui n’en avaient point ont été obligés de travailler pour avoir le droit d’en manger une partie. Tout ce que j’ai vu dans notre pays et dans le vôtre m’apprend qu’il n’y a pas d’autre esprit des lois » (Un Sauvage et un Bachelier, XL, 360).

Au surplus, l’égalité des biens ne peut s’accorder avec l’institution sociale. « Il est impossible dans notre malheureux globe que les hommes vivant en société ne soient pas divisés en deux classes, l’une, de riches… l’autre, de pauvres » (Dict. phil., Égalité, XXIX, 8). Comment le genre humain subsisterait-il sans cette multitude d’hommes utiles qui n’ont que leurs bras ? Mettez-les à leur aise : aucun ne voudra labourer les terres d’un autre ou lui faire des souliers[1].

Mais l’égalité des biens n’est pas seulement impossible. En voulant l’établir, on spolierait ceux qui possèdent, on leur ferait injustice. Pascal avait dit : « Sans doute que l’égalité des biens est juste » ; Voltaire répond : « L’égalité des biens n’est pas juste ; il n’est

  1. Dict. phil., Égalité, XXIX, 8. — Voltaire ne craint même pas de dire que, plus il y a d’hommes sans autre capital que leurs bras, mieux les terres seront cultivées (Dict. phil., Fertilisation, XXIX, 370). Du reste les grandes fortunes lui paraissent nécessaires dans l’intérêt des pauvres eux-mêmes.