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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/100

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CHAMFORT

abondent sur ce point. Sans renvoyer aux Mémoires du temps, nous croirons avoir donné une idée suffisante de la sujétion où ils tenaient les auteurs en citant la lettre que leur écrivit Chamfort, lorsqu’il leur envoya le manuscrit de Mustapha et Zéangir :

« Messieurs, vous ne devez pas être surpris qu’aux approches des dangers d’une première représentation, je me sois effrayé et que j’aie cherché à tourner au profit de mon ouvrage les derniers moments qui me restaient. Je m’étais flatté qu’étant à peine prêts à jouer la comédie de l’Égoisme, vous me demandiez mon manuscrit beaucoup trop tôt, et l’excès de ma timidité vous imputait, je vous l’avoue, un excès de prévoyance. Mais puisqu’il faut que je triomphe de mes craintes, j’ai l’honneur de vous envoyer, Messieurs, le manuscrit de Mustapha et Zéangir, auquel je joins les rôles de Solyman et Roxelane, les seuls que j’eusse repris. — Il ne me reste plus qu’à recommander mon ouvrage à vos talents. Je leur dois l’indulgence qu’il a obtenue à Fontainebleau ; et la ville n’est pas moins favorable que la cour à ceux auxquels il est redevable de son succès. J’ai l’honneur d’être avec une parfaite considération, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur, Chamfort, secrétaire des commandements de S. A. Monseigneur de Condé. » (De Chantilly, samedi 21 juin 1777)[1]

Il est naturel qu’un poète dramatique se mette en frais de gracieuseté avec ses interprètes ; mais à ces formules de protocole, ne sent-on pas dans cette lettre que Chamfort traitait avec une véritable puissance ? Inutile de rien dire de la censure et de la police qui étendaient leur empire sur toutes les

  1. Archives de la Comédie-Française.