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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/115

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d’amour, ils étaient unis par une tendresse très vive et qui y ressemblait fort. Chamfort a pu mettre une sorte de pudeur délicate à parler de sa liaison avec son amie. Mais, nous dit Aubin, « je l’ai vu l’aimer aussi ardemment qu’une maîtresse, aussi tendrement que sa mère[1] ». Ce subtil roman, cette singulière idylle de deux quadragénaires eut un dénouement tragique après six mois passés ainsi à Vaudouleurs, Mme Buffon mourut brusquement. Les lettres où Chamfort parle de cette perte sont pleines de cœur et montrent de quelle affection il avait aimé celle qui n’était plus : « Je ne finirais pas, dit-il à l’abbé Roman, si je vous parlais de ce que j’ai perdu. C’est une source éternelle de souvenirs tendres et douloureux. Ce n’est qu’après six mois que ce qu’ils ont d’aimable a pris le dessus sur ce qu’ils ont de pénible et d’amer. Il n’y a pas deux mois que mon âme est parvenue à se soulever un peu, et à soulever mon corps avec elle[2]. » Et, à peu près à la même époque, il écrit à Mme Agasse, qui avait été la meilleure amie de Mme Buffon, qu’il n’a pas eu le courage d’aller la voir aussitôt après le coup qui l’a frappé :

« J’ai craint d’être suffoqué en voyant, dans ces premiers jours, la personne que mon amie aimait le plus, et dont nous parlions le plus souvent. Le cœur sait ce qu’il lui faut. C’est de vous que j’ai besoin maintenant : j’irai vous voir au premier jour… Je ne réponds pas du premier moment ; mais je ne suffoquerai point, parce que mon cœur peut s’épancher auprès de vous. Mais quand je songe que ce même jour, et sans doute à la même heure

  1. Chamfortiana, XVII.
  2. Ed. Auguis, V. 289.