Aller au contenu

Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

correspondance, de lire des lettres intimes où rien ne l’oblige à déguiser ses sentiments, pour reconnaître qu’il sentit pour M. de Vaudreuil une affection véritable :

« Il faut vous dire de plus, écrit-il à l’abbé Roman, qu’indépendamment de ma nouvelle place, ma liaison avec M. de Vaudreuil est devenue telle qu’il n’y a plus moyen de penser à quitter ce pays-ci. C’est l’amitié la plus parfaite et la plus tendre qui se puisse imaginer. Je ne saurais vous en écrire les détails ; mais je pose en fait que, hors l’Angleterre où ces choses-là sont simples, il n’y a presque personne en Europe digne d’entendre ce qui a pu rapprocher, par des liens si forts, un homme de lettres isolé, cherchant à l’être encore plus, et un homme de la cour jouissant de la plus grande fortune et même de la plus grande faveur. Quand je dis des liens si forts, je devrais dire si tendres et si purs ; car on voit souvent des intérêts combinés produire entre des gens de lettres et des gens de la cour des liaisons très constantes et très durables ; mais il s’agit ici d’amitié, et ce mot dit tout dans votre langue et dans la mienne [1]. »

Pourquoi nous refuserions-nous à croire à la sincérité d’une amitié qui s’exprime en termes si vifs et si sentis ? Que l’on juge aussi sévèrement que l’on voudra le rôle que Vaudreuil a joué dans l’histoire il n’en faut pas moins reconnaître qu’il avait de quoi se rendre aimable ; aux meilleures traditions de politesse et d’élégance de l’ancien monde, il joignait les goûts de la société moderne.

« M. de Vaudreuil aimait passionnément les arts et les lettres il se plaisait à les encourager plus encore en amateur qu’en homme puissant. Toutes les semaines il donnait un dîner qui était uniquement composé de littérateurs et

  1. Ed. Auguis, V, 281.