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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/162

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CHAMFORT

actes de gouvernement. On les quitterait d’ailleurs du soin de conduire les affaires publiques, s’ils avaient l’attention de les remettre entre des mains habiles et fermes. Mais, tandis qu’ils paraissent les chefs de vingt-cinq millions d’hommes, ils sont les jouets d’une coterie. Leurs ministres ? ils ne les choisissent pas. On leur impose les uns ; les autres s’imposent eux-mêmes. Louis XV ne nomma jamais d’Aiguillon ministre des affaires étrangères. Mme du Barry, qui voulait le voir à cette place, lui dit d’aller remercier le roi de la lui avoir confiée. « Il y alla : le roi ne dit rien, et M. d’Aiguillon entra en fonctions sur-le-champ[1]. » Louis XVI ne songeait à faire de Maurepas ni un ministre ni un premier ministre. Comme il l’avait mandé pour causer avec lui : « Je développerai mes idées, demain, au conseil, lui dit Maurepas. » Et poussant sa pointe : « Votre Majesté me fait donc premier ministre ? — Non, dit le roi, ce n’est point du tout mon intention. — J’entends, dit M. de Maurepas : Votre Majesté veut que je lui apprenne à s’en passer[2]. » Le fait est que, sur ce mot, il resta en place jusqu’à sa mort. Pourquoi d’ailleurs un roi de France se mettrait-il en peine de gouverner ? — La machine du despotisme a été construite depuis deux siècles ; elle est montée ; elle marche toute seule : « M… Provençal, qui a des idées assez plaisantes, me disait, à propos des rois et même des ministres, que, la machine étant bien montée, le choix des uns et des autres était indif-

  1. Ed. Auguis, II, 52.
  2. Ed. Auguis, II, 33.