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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/170

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CHAMFORT

mérite ; mais ils en exigent un avilissement préalable, qui repousse loin d’eux tous ceux qui ont quelque pudeur[1]. » Aux dernières heures de l’ancien régime, il est manifeste que la noblesse française a bien moins la fière attitude d’une caste qui garde fidèlement ses prérogatives, que la mine inquiète et jalouse d’une coterie qui tremble qu’on ne lui ravisse des privilèges et des faveurs. Une sorte de conspiration occulte se forme dans ses rangs contre ceux qu’elle regarde comme des intrus : « une convention tacite avait tourné en mode, chère à l’orgueil, la nécessité des ménagements entre gens de la même espèce. Ainsi faciliter ou du moins permettre l’oppression d’un inférieur était une convenance d’état, dont on ne pouvait, entre honnêtes gens, se dispenser sans indécence[2]. » C’était, comme au temps de Louis XI, une ligue du bien public ; et Chamfort, qui en avait saisi le secret, la dénonçait avec indignation. « Cette impossibilité d’arriver aux grandes places, à moins que d’être gentilhomme, est une des absurdités les plus funestes dans presque tous les pays. Il me semble voir des ânes défendre les carrousels et les tournois aux chevaux[3]. » Au reste, sous Louis XVI, Turgot une fois éloigné du ministère, le secret ne fut plus gardé ; les prétentions exclusives de la noblesse se dévoilèrent, s’affichèrent même. On vit le gouvernement faire tout pour favoriser ce que Chamfort appelle « les

  1. Ed. Auguis, I, 380.
  2. Ed. Auguis, III, 284.
  3. Ed. Auguis, I, 437.