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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/186

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CHAMFORT

on trouve même dans la mauvaise compagnie de ce temps-là quelque chose qui manque à la bonne d’aujourd’hui[1]. » C’est que, si la politesse n’exclut pas complètement l’égoïsme, elle suppose au moins qu’on est capable de l’oublier pour une heure, et ne va pas sans quelque désintéressement, sans un désintéressement momentané. Mais dans ce milieu où les intérêts luttent sans trêve, où les vanités se choquent sans relâche, qui donc se risquerait à s’oublier, ne fût-ce qu’un moment ? Le temps est passé où l’on pouvait dire, non sans raison, que l’esprit de société tenait lieu parfois de l’esprit de charité ; les bonnes qualités et les qualités aimables, c’est-à-dire les qualités de l’homme poli, sont devenues presque contradictoires. « Vous connaissez M. le comte de… Est-il aimable ? — Non, c’est un homme plein de noblesse, d’élévation, d’esprit, de connaissances, voilà tout[2]. » Un écrivain qu’on ne peut accuser d’avoir été hostile à l’ancien monde, le prince de Ligne, a rendu sur ce point le même témoignage que Chamfort : « On était, dit-il, devenu mal élevé et peu attentif dans la société. Il y avait encore quelques révérenciers ; mais c’était une politesse de jambes et non la véritable. On croyait en avoir en ne buvant un verre d’eau qu’à la porte et en y reconduisant avec les sots propos d’usage : c’est pour vous voir plus longtemps, c’est pour voir si vos gens sont là. Mais il faut avoir, ou une bonhomie cordiale

  1. Ed. Auguis, I, 373.
  2. Ed. Auguis, I, 323.