Aller au contenu

Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être moins le talent qui manqua à Fragonard, leur disciple, que des modèles élégants et gracieux comme ceux qui figurent dans leurs tableaux.

Que servirait au peintre de cette société d’avoir des couleurs vives et une touche légère ? Sur elle je ne sais quoi de lourd et de terne s’est étendu comme une couche uniforme. L’éclat si vif qu’avait jeté l’esprit de conversation durant ce siècle a pâli, s’est effacé ; il y a encore des professionnels de la causerie ; mais les hommes du monde passent à travers les salons sans amuser, sans s’amuser ; ce spectacle qu’ils ont toujours sous les yeux, ils n’y prennent plus plaisir, ils ne songent plus à l’animer ; beaucoup, que rien ne peut distraire d’eux-mêmes, ne le comprennent même pas, « par la raison qui fait que les hannetons ne savent pas l’histoire naturelle ». L’ennui gagne, les ennuyeux se multiplient, si bien qu’il est plus profitable de savoir s’ennuyer que de savoir plaire. Savoir s’ennuyer devient un art nécessaire, et « le talent de faire fortune, comme celui de réussir auprès des femmes, se réduit presque à cet art-là[1] ».

Serait-ce, comme quelques-uns l’ont cru, que, le siècle finissant, le monde est enfin devenu grave, et qu’après avoir été si longtemps charmé par les jolis mots, il s’éprend pour les idées sérieuses ? — Serait-ce, lorsqu’un renouvellement est si proche, qu’on se préoccupe des réformes attendues et qu’on a souci d’écouter les réformateurs ?… Au premier examen, l’on serait tenté de le croire. — Jamais

  1. Ed. Auguis, I, 361.