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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/203

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Chamfort n’hésite pas, et l’on s’en aperçoit bien à la façon dont il rappelle « le mot que disait à déjeuner à des gens de la cour un homme d’un mérite reconnu : Ah ! Messieurs, que je regrette le temps que j’ai perdu à apprendre combien je valais mieux que vous[1] ».

On voit déjà que Chamfort s’est élevé fort au-dessus des préoccupations utilitaires. Mais des moralistes rigides ont remarqué qu’il entre de l’égoïsme dans le souci de la dignité comme dans le souci du repos. Chamfort, à leur sens, n’y aurait pas échappé. « L’homme du monde, l’ami de la fortune, même l’amant de la gloire, tracent tous devant eux une ligne directe qui les conduit à un terme inconnu. Le sage, l’ami de lui-même, décrit une ligne circulaire dont l’extrémité le ramène à lui. C’est le totus teres atque rotundus d’Horace[2]. » Celui qui a écrit ces lignes n’a-t-il pas donné la formule même de l’égoïsme ? Qu’il l’ait raffiné, spiritualisé, on n’y contredit point ; mais, en dernière analyse, c’est toujours l’égoïsme qui domine dans son âme, et même, au dire de Sainte-Beuve, il aurait été atteint d’une sorte d’hypertrophie du Moi. Il ne suffit pas au critique peu bienveillant de prétendre que Chamfort est égoïste, il veut en faire, pour parler notre langage néologique, un égotiste. Et Sainte-Beuve, pour le convaincre de ce travers, s’empresse de citer ce mot de forme paradoxale et comme exaspérée : « J’ai vu peu de fiertés dont j’aie été content. Ce que je connais de mieux en ce

  1. Ed. Lescure, I, 57, 58.
  2. Ed. Auguis, I, 399.