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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/261

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berté. Il n’aura donc point à quitter des opinions, mais plutôt à en choisir une il ressemble à un rocher muet qu’une divinité vient d’animer. Tout à l’heure ce n’était qu’un écho, maintenant c’est une voix[1]. »

Mais le peuple, devenu maître de juger les hommes et les choses, et, par là même, d’influer sur sa propre destinée, est-il en état d’exercer, comme il convient, la liberté qu’on lui a rendue ? Ne faut-il pas avouer que la Constitution,

« ouvrage en partie de l’opinion publique, se trouve à quelques égards supérieure aux lumières actuelles de la plupart des citoyens, et surtout aux habitudes du grand nombre ? C’est un embarras plus qu’un danger ; mais enfin, si l’ancien gouvernement a péri par le désavantage contraire et pour être resté trop en arrière de la nation, il n’est pas moins à craindre que la Constitution nouvelle ne soit gênée quelque temps dans sa marche par la difficulté d’élever sur-le-champ à son niveau les idées d’une multitude longtemps ignorée et avilie [2]. »

En affranchissant le peuple, la Révolution n’aurait donc, aux yeux de Chamfort, acquitté qu’une partie de sa dette envers lui, si elle ne créait point une instruction publique qui éclaire son intelligence et une éducation nationale qui guide sa volonté. Là est, pour Chamfort, le plus important des problèmes sociaux, celui qu’il faut étudier et résoudre avant tous les autres.

Dès longtemps avant 1789, les questions d’éducation l’avaient d’ailleurs préoccupé et occupé. Il n’avait que vingt-deux ans lorsque parut l’Émile ;

  1. Mercure de France, No du 17 juillet 1790.
  2. Ibid.