Aller au contenu

Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gner sa vie et ce qui pouvait le mettre en vue. Avant de devenir un grand écrivain, il dut être un homme de lettres, c’est-à-dire faire un métier. La Bruyère avait eu beau se moquer de Cydias et de sa profession de bel esprit : beaucoup à la suite de Cydias mirent une enseigne, ouvrirent un atelier et un magasin et attendirent les ouvrages de commande. L’écrivain n’eut plus seulement un cabinet, mais aussi une boutique. Chamfort a lui-même parlé quelque part « de son affiche littéraire »[1].

Dans ce qu’il écrivit durant cette période, Chamfort mit donc autre chose que ce qui venait de lui-même : il subit l’influence du métier, de la mode, de la convention ; il ne se déroba pas à l’empire qu’exercent les grands modèles sur les débutants. Nulle part il ne se donna tout entier. Il ne le pouvait pas. C’est son âme, plus encore que son talent, qu’on trouve plus tard dans ses Pensées ; nul ne possède son âme tout entière avant que le temps ne l’ait façonnée. Et pourtant ces vingt années de la vie de Chamfort ne sont pas sans intérêt ; il écrit alors des livres qu’il n’a pas vécus ; mais il vit le livre qu’il écrira. Son talent n’a pas trouvé sa forme, mais chaque jour fournit l’étoffe dont il doit se faire.

Il débuta, comme on débute souvent aujourd’hui, par des articles de journal. La presse politique existait encore à peine, mais la presse littéraire avait déjà pris un notable développement. En 1756, un certain Pierre Rousseau, de Toulouse,

  1. Ed. Auguis, I, 336.