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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/33

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souffrit des dédains ou des hauteurs auxquels elle expose. Inconnu, il pouvait manquer de tout et ne désirer rien : « La fortune ni les privations n’ont jamais troublé son indépendance. Sa philosophie à cet égard ne ressemblait à l’insouciance que parce qu’elle tenait peut-être plus à l’habitude de se passer de ce qu’il n’avait pas, qu’au moindre effort pour s’en priver volontairement#1 ». Mais s’il acceptait gaiement la pauvreté, il ne se résignait à l’obscurité qu’avec impatience. Que faire pour en sortir ? quelle voie suivre ? quel genre embrasser, et, puisque tous les débutants se posent cette question, quel modèle imiter ?

Un jeune homme de talent, qui s’interrogeait ainsi entre 1760 et 1762, avait le droit d’être perplexe. Buffon construit alors son monument, mais il vit dans la solitude, ne cherche pas les disciples, n’accepte que des collaborateurs anonymes. L’Encyclopédie, entreprise en 1751, se poursuit jusqu’en 1772 ; mais les écrivains de l’Encyclopédie forment un parti, une secte ; si l’on veut être avec eux, il faut s’enrôler, s’embrigader, subir une discipline étroite, sous peine de passer pour déserteur, bien plus, pour apostat. Des hommes de mérite s’occupent des matières de politique, d’administration ; en 1758 Quesnay a publié ses Maximes ; la Théorie de l’Impôt de Mirabeau, l’Ami des hommes, paraît en 1760. Mais, si l’on parle beaucoup d’eux, l’on ne les lit guère ; et leurs études sont bien arides pour un jeune homme de vingt ans. Il y a [1]

  1. Chamfortiana, XII.