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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/68

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jolie bagatelle », mais qui, ajoute-t-il, « n’annonce rien du tout, et ne tient pas plus que sa Jeune Indienne ne promettait autrefois[1] ». L’appréciation de Collé, plus sommaire, est encore moins favorable : « Cette pièce, dit-il, est un rien ; il a été accueilli comme tel[2] ». On s’explique mal la dureté de pareils jugements. Il n’y avait point de prétention dans ce petit acte, qui n’est qu’une bluette à scènes épisodiques. Chamfort ne s’était pas même donné la peine de se mettre en quête d’un canevas ; il l’avait emprunté à l’histoire de Topalosman, que Fuzelier avait déjà mise au théâtre dans un des actes de ses Indes galantes. Mais, sur cette donnée d’un romanesque un peu banal, il avait semé d’une main légère de jolis détails, des traits de satire rapides et spirituels, de vives épigrammes contre les médecins, les jurisconsultes, les abbés et les gentilshommes, gens de dure défaite, dit le marchand d’esclaves, qui est le protagoniste, parce qu’ils n’ont d’autre valeur que celle que leur donnent les conventions d’une société artificielle et parce qu’ils sont incapables de tout service utile. L’auteur n’attachait pas lui-même grande importance à son œuvre, puisque, au témoignage de Rœderer[3], il disait, en 1789, que, s’il l’avait encore en portefeuille, il la jetterait au feu. Pourtant ce petit acte doit compter dans l’histoire du talent de Chamfort. C’est là que, pour la première fois, nous le voyons, délivré des exigences et des contraintes du goût académique,

  1. Correspondance de Grimm, VIII, 448 sq.
  2. Journal et Mémoires de Charles Collé, III, 245.
  3. Œuvres du comte Rœderer. tome IV.