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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/92

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CHAMFORT

die l’avait forcé de la subir, et il l’avait acceptée ; mais à ce moment il la recherche, s’y attache et évite ce qui pourrait l’en arracher. Non seulement il cesse d’être un homme de plaisir, un homme à la mode ; mais il ne veut pas plus de bruit autour de son nom qu’il n’en veut autour de sa personne ; et comme il renonce à se produire, il renonce à produire ou plutôt à publier. Pareil renoncement est, je crois bien, chose assez rare dans l’histoire des lettres ; du moins, au xviiie siècle, le cas me paraît unique ; et il vaut sans doute la peine d’en rechercher les causes.

Chamfort venait d’atteindre la quarantaine, ou, mieux, elle venait de l’atteindre ; c’est un âge critique c’est le moment où l’on sent que l’on porte la vie, qu’elle ne nous porte plus. Et nul ne le sent mieux que celui pour qui, dans la jeunesse, la volupté fut la grande affaire. « Les voluptueux, a-t-on dit, sont aisément mélancoliques… Il semble que la volupté, quand elle s’empare d’un homme, s’y fasse à ce point la maîtresse de son être qu’après elle plus rien ne soit qui vaille la peine de vivre[1]. » Sans elle, tout au moins, l’existence perd singulièrement de son intérêt : écoutez cette confession de Chamfort ; car le propos qu’il prête à un tiers, c’est vraiment lui qui le tient : « M. de L… me disait, relativement au plaisir des femmes, que lorsqu’on cesse de pouvoir être prodigue, il faut devenir avare, et qu’en ce genre celui qui cesse d’être riche commence à être pauvre. Pour moi,

  1. Henry fouquier, Au siècle dernier, 240 (Bruxelles, Kistemœckers).