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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/97

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rer arriver à la richesse. Ce qui enrichit Voltaire, ce furent d’heureuses spéculations ; ses ouvrages ne contribuèrent que pour bien peu à sa grande fortune. Si Marmontel se trouve, à un moment, fort bien renté, c’est qu’il a su se faire donner force pensions et sinécures. Et il faut même remarquer que l’opinion des grands seigneurs et des gens du monde n’admettait guère que, même par des faveurs, un homme de lettres pût s’élever au-dessus de la médiocrité : « J’ai toujours été choqué, écrivait Chamfort, de la ridicule et insolente opinion, répandue presque partout, qu’un homme de lettres qui a quatre ou cinq mille livres de rente est au périgée de la fortune [1] ».

Il n’y a pas là de mauvaise humeur ; c’est l’expression même de la vérité ! En veut-on la preuve ? Suard rédigeait la Gazette de France. Il avait imaginé une combinaison qui, tout en profitant à l’État, lui permettait d’augmenter ses appointements.

« Comme tout le monde devait gagner, Madame de Tessé imaginait que tout le monde serait bientôt d’accord ; qu’il était superflu de s’adresser directement au ministre, M. de Choiseul, et qu’au premier mot du chef de division la décision ministérielle serait dictée et signée. La marquise se rend en grande hâte dans les bureaux ; mais quelle est sa surprise ! Ce chef superbe de quelques commis ne conteste pas les profits à faire et à partager ; mais il s’étonne et s’indigne que des hommes de lettres ne se trouvent pas assez riches avec 2500 francs, et lui, commis, en avait 25000 ou 30000[2] ! »

  1. Ed. Auguis, V, 267.
  2. Mémoires de Garat sur Suard (Paris, 1820, in-8º)