Page:Pensées de Gustave Flaubert 1915.djvu/21

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Je comprends, tout comme un autre, ce qu’on peut éprouver à regarder son enfant dormir. Je n’aurais pas été mauvais père, mais à quoi bon faire sortir du néant ce qui y dort ? Faire venir un être, c’est faire venir un misérable.

Sans cesse l’antithèse se dresse devant mes yeux. Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, un berceau sans songer à une tombe. La contemplation d’une femme nue me fait rêver à son squelette. C’est ce qui fait que les spectacles joyeux me rendent triste et que les spectacles tristes m’affectent peu. Je pleure trop en dedans pour verser des larmes au dehors ; une lecture m’émeut plus qu’un malheur réel.

L’amour est une plante de printemps qui parfume tout de son espoir, même les ruines où il s’accroche.

L’amour, après tout, n’est qu’une curiosité supérieure, un appétit de l’inconnu qui vous pousse dans l’orage, poitrine ouverte et tête en avant.