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PENSÉES DE

gnes que les autres nous ayment. Il eſt injuſte que nous le voulions. Si nous naiſſions raiſonnables, & avec quelque connoiſſance de nous meſmes & des autres, nous n’aurions point cette inclination. Nous naiſſons pourtant avec elle. Nous naiſſoins donc injuſtes. Car chacun tend à ſoy. Cela eſt contre tout ordre. Il faut tendre au general. Et la pente vers ſoy eſt le commencement de tout deſordre en guerre, en police, en œconomie, &c.

§ Si les membres des communautez naturelles & civiles tendent au bien du corps, les communautez elles meſmes doivent tendre à un autre corps plus general.

§ Quiconque ne hait point en ſoy cet amour propre, & cet inſtinct qui le porte à ſe mettre au deſſus de tout, eſt bien aveugle, puiſque rien n’eſt ſi oppoſé à la juſtice & à la verité. Car il eſt faux que nous meritions cela ; & il eſt injuſte & impoſſible d’y arriver, puiſque tous demandent la meſme choſe. C’eſt donc une manifeſte injuſtice oû nous ſommes nez, dont nous