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LIVRE IV, § XLVIII.

mathématiciens qui avaient cru faire merveille en pronostiquant la mort des autres ; de tant de philosophes[1] qui avaient composé tant de dissertations sans fin sur la mort et l’immortalité ; de tant de guerriers qui avaient tué tant de monde ; de tant de tyrans qui, avec une férocité hautaine, avaient usé du droit de vie et de mort comme s’ils eussent été eux-mêmes immortels ; enfin à la mort de tant de cités ; car les cités meurent aussi, on peut dire ; témoins Hélice[2], Pompéi, Herculanum, et cette foule d’autres villes, qu’on ne saurait compter. Repasse en ta mémoire[3] les gens que tu as toi-même connus mourant l’un après l’autre ; celui-ci menant le deuil de celui-là,

  1. De tant de philosophes. Cette pointe d’ironie contre les philosophes n’est pas déplacée dans la bouche d’un philosophe, qui se comprend lui-même dans la critique qu’il fait des autres.
  2. Hélice. Ville d’Achaïe, dans le Péloponnèse, qu’il ne faut pas confondre avec une autre ville de même nom en Thessalie. Deux ans avant la bataille de Leuctres, 373 avant Jésus-Christ, Hélice fut submergée par la mer, que soulevait un tremblement de terre ; la ville était cependant à une lieue de distance environ du rivage. Toute la population y périt. Voir Strabon, liv. VIII, ch. VII, § 2, p. 330, édit. Firmin Didot. Cet événement avait déjà plus de cinq cents ans de date à l’époque de Marc-Aurèle. La catastrophe d’Herculanum et de Pompéi est à un siècle de distance quand il écrit. Toutes les découvertes qu’on fait chaque jour dans les ruines de ces deux villes attestent combien la catastrophe fut affreuse.
  3. Repasse en ta mémoire. Conseils fort pratiques, mais qu’on écoute peu en général, parce que les plus sages eux-mêmes se laissent entraîner au courant ; et la