Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Barthélemy-Saint-Hilaire.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
LIVRE V, § XXVII.

est toute naturelle ; seulement, le principe qui nous gouverne ne doit point y ajouter de son chef cette idée qu’il y ait là ni un bien ni un mal[1].

XXVII

Vivre avec les Dieux[2]. Or celui-là vit avec les Dieux qui, sans jamais défaillir, leur présente

    résister aux conséquences qu’elle peut avoir.

  1. Ni un bien ni un mal. Ceci ne doit pas être pris en un sens trop étroit ; car il y a des sensations bonnes ou mauvaises, par les suites qu’elles entraînent après elles. Sénèque a dit : « Je suis de trop bon lieu, je suis destiné à des choses trop grandes pour me rendre esclave de mon corps ; l’âme qui l’habite est franche et libre. Jamais cette chair ne me soumettra à la crainte ni à la dissimulation, qui est indigne d’un homme de bien. Jamais je ne commettrai un mensonge en sa faveur. Je romprai notre société quand bon me semblera. » Épître LXV, à Lucilius. Ailleurs, Épître LXXIV, Sénèque ajoute : « Ce n’est pas dans la chair qu’il faut établir notre félicité. » — Bossuet a dit : « Quoique nous soyons relégués dans cette dernière partie de l’univers qui est le théâtre des changements et l’empire de la mort ; bien plus, quoiqu’elle nous soit inhérente, et que nous la portions dans notre sein, toutefois, au milieu de cette matière et dans l’obscurité de nos connaissances, qui vient des préjugés de nos sens, si nous savons rentrer en nous-mêmes, nous y trouverons quelque chose qui montre bien, par une certaine vigueur, son origine céleste et qui n’appréhende pas la corruption. » Sermon sur la Mort.
  2. Vivre avec les Dieux. Grande et pratique pensée, d’une piété profonde ; c’est vivre avec les Dieux que de vivre en leur présence, ne faisant rien qu’on puisse désirer de leur cacher, soumis à leurs volontés et prêt à les suivre partout où ils veulent nous mener. L’ascétisme chrétien a pu se produire sous