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LIVRE X, § VIII.

Affermis-toi donc dans la possession de ces quelques noms honorables ; et, si tu peux rester sur ce ferme terrain, restes-y, comme si tu avais le bonheur d’avoir été transplanté dans les îles des Bienheureux. Si tu vois que tu en sors, et que tu n’es plus de force à y demeurer, aie alors le courage de te retirer dans quelque lieu écarté, où tu pourras redevenir ton maître et recouvrer tes forces. Sinon, sors définitivement[1] de ce monde, non pas dans un accès de fureur, mais au contraire, avec simplicité, avec ta liberté entière, modestement, et n’ayant fait de bien qu’une seule chose dans ta vie, à savoir d’en être sorti de cette façon. Pour te rappeler tout ce que valent ces noms qu’il faut mériter, ce sera un grand appui pour toi de te rappeler aussi qu’il y a des Dieux[2], que ce qu’ils veulent, ce n’est pas d’être

    server pour d’autres combats.

  1. Sors définitivement. Le conseil est terrible ; et l’on sait que, dans le Stoïcisme, il était sérieux. Mais, pour en arriver à cette extrémité et s’y décider par le jugement de la raison la plus froide, il faut être à ses propres yeux bien criminel et désespérer absolument de pouvoir s’amender. Il n’est pas possible non plus de justifier son suicide par le dégoût qu’on aurait de la vie. Est-ce un motif raisonnable de s’en défaire ? Souvent le remords produit cet homicide effet sur des scélérats, qui ne peuvent supporter l’existence souillée qu’ils se sont faite.
  2. Te rappeler aussi qu’il y a des Dieux. C’est la foi en Dieu et en sa bonté. Cette confiance de l’homme en son créateur est en effet le plus ferme appui qu’il puisse se donner.