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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

y a de mieux au monde, il devient, on peut dire, le ministre et l’agent des Dieux[1], en s’appuyant sur le principe inébranlable qu’il porte au dedans de lui, et qui met l’homme à l’abri des souillures de la volupté, qui le rend invulnérable à toute souffrance, insensible à tout outrage, inaccessible à toute perversité, qui en fait l’athlète de la plus noble des luttes[2], de la lutte où l’on est vainqueur de toute passion, qui trempe l’homme profondément dans la justice[3], qui le dispose à aimer de toutes les forces de son âme tout ce qui lui arrive et lui échoit en partage, à ne s’occuper que bien rarement, et jamais sans une nécessité pressante d’intérêt commun, de ce que dit un autre[4], de ce qu’il fait et de ce qu’il pense. Les seules affaires, en effet, dont il s’occupe, ce sont les siennes ; il réfléchit perpétuellement à la part qui lui a été faite dans

  1. Le ministre et l’agent des Dieux. Quand l’homme fait le bien, il peut se dire sans orgueil qu’il est l’instrument de Dieu et en quelque sorte son coopérateur, dans la mesure où le comporte l’infirmité de notre nature finie.
  2. L’athlète de la plus noble des luttes. Belle et simple expression, dont l’idée est empruntée à la philosophie platonicienne. Socrate parle souvent du combat de la vie, le plus périlleux et le plus noble des combats, puisque nous y sommes placés sans cesse, entre le bien et le mal, la vertu et le vice.
  3. Qui trempe l’homme profondément dans la justice. Métaphore aussi juste que grande.
  4. De ce que dit un autre.