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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

giner que cela nous fasse du tort. Car ce n’est pas un mal. Rappelle-toi le vieillard qui, en s’en allant, priait son élève de lui donner sa toupie, sachant bien que ce n’était qu’une toupie. Fais maintenant comme lui, puisque tu désires les choses qui brillent et que l’on célèbre. Homme, as-tu oublié ce que valait cette gloire ? — Non, mais tout le monde autour de moi la recherche. — Est-ce une raison pour que tu deviennes fou toi aussi ? — Du moins, en quelque lieu que la mort me prenne, j’ai été un homme bien partagé. — Être bien partagé, cela signifie que tu t’es fait à toi-même une bonne part. Et la bonne part, ce sont de bonnes habitudes de l’âme, de bonnes tendances, de bonnes actions[1].

Livre VI

1

La matière[2] de l’univers est docile et ductile ; mais la raison qui la gouverne n’a en elle aucun motif de faire du mal ;

  1. J’ai tâché de donner une traduction intelligible d’un passage qui semble ne pas l’être. Le texte en est le même dans tous les manuscrits, et il est difficile d’y apporter des corrections méthodiques. Il est certain d’ailleurs que des corrections sont nécessaires. L’idée générale est qu’il ne faut rechercher que ce qui en vaut la peine, et que la vertu seule vaut la peine d’être recherchée ; le reste est indifférent. Si telle est l’idée générale, il n’est pas possible que dans la première phrase il soit question de venir en aide aux autres. Le mot βοηθεῖν qui se trouve dans cette phrase a induit en erreur Gataker et ceux qui l’ont suivi. Il doit avoir le même sens que dans une autre pensée (III, 14) où Marc-Aurèle s’exhorte lui-même à ne pas se laisser entraîner vers ce qui est stérile, à renoncer aux vaines espérances et à se secourir soi-même (βοήθει σαυτῷ), afin de ne chercher que ce qui en vaut la peine. Dans la phrase dont nous nous occupons, βοηθεῖν a donc pour complément ἐαυτοῖς sous-entendu ou omis par le copiste. La phrase ἐπεί τοι γίνῃ καλῶν ἐπὶ τῶν ἐμβόλων n’a pas de sens. Elle a été corrigée de bien des façons sans en devenir plus claire, et elle ne peut l’être si l’on conserve les mots τῶν ἐμβόλων. Je ne vois pas ce que vient faire ici la tribune aux harangues. Il serait sage, dans une édition, de renoncer à corriger ce passage, mais la nécessité de donner une traduction sera l’excuse de l’explication que je hasarde et du texte que je propose : ἐπεί τοι ὀρέγῃ τῶν καλῶν καὶ τῶν ἐνδόξων. (Cf. VI, 50 : καὶ τῶν ἀδυνάτων οὐκ ὠρέγου.) La phrase ainsi corrigée se rattache à la précédente. Fais comme le vieillard dont je viens de parler, se dit à lui-même Marc-Aurèle, et puisque tu désires les honneurs, n’oublie pas qu’ils valent ce que valait la toupie de l’enfant. Ici seulement commence le dialogue, avec les mots « Ναί· ἀλλὰ κτλ. » On arrive donc en corrigeant seulement les mots γίνῃ καλῶν ἐπὶ τῶν ἐμβόλων a donner un sens suivi à tout le morceau. C’est toujours quelque chose.

    Je laisse de côté des corrections beaucoup moins importantes, comme οὺδέν au lieu de ἔθος (I, 4), proposé par Gataker. À la ligne 6, ὦδε fait double emploi avec οὔτως ; je préférerais ούγε. Après ούγε il ne faut pas de point, mais une virgule : οὔτως οὗν καὶ ούγε, ἐπεί τοι ὀρέγῃ τῶν καλῶν καὶ τῶν ἐνδόξων. À la ligne 10, j’ai adopté καταληφθείς avec Casaubon, au lieu de καταλειφθείς.

  2. [Couat : « substance. » Cf. supra IV, 21, note finale.]