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Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/113

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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

mère. Voilà ce que sont pour toi la cour et la philosophie ; reviens fréquemment à cette dernière et repose-toi sur elle ; c’est par elle que la cour te paraît supportable et te supporte.

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À propos des mets [préparés au feu] et de tous nos aliments, nous nous faisons une idée de ce qu’ils sont : ceci, par exemple, est le cadavre d’un poisson, cela le cadavre d’un oiseau ou d’un porc ; pareillement, le phalerne est le jus d’un raisin, ou bien la robe prétexte est faite des poils d’une brebis teints dans le sang d’un coquillage ; ou encore l’acte sexuel n’est que le frottement d’un nerf[1] et l’éjaculation d’une glaire accompagnée d’un certain spasme. Toutes ces idées atteignent le fond des choses et les pénètrent au point que nous en distinguons la vraie nature[2]. Agissons ainsi pendant toute notre vie, et quand nous nous faisons des choses l’idée la plus favorable[3], mettons-les à nu, voyons le peu qu’elles sont et détruisons la légende[4] qui assure leur prestige. L’orgueil est un dangereux sophiste ; c’est quand vous croyez vous attacher aux objets les plus dignes d’attention qu’il déploie le plus son charlatanisme. Voyez donc ce que Cratès dit de Xénocrate lui-même.

14

La plupart des objets que le vulgaire admire rentrent dans la catégorie[5] la plus générale, celle des choses qui ne sont

  1. Au lieu d’ἐντερίου, j’ai adopté νευρίου, heureusement rétabli par Nauck.
  2. [Cf. supra III, 11, seconde note. Ce sont la même idée et les mêmes expressions.]
  3. Le mot ἀξιόπιστα a été contesté. Je crois qu’il peut être conservé. Ce sont les choses en apparence les plus dignes de confiance qui nous trompent le plus. — [On a contesté ἀξιόπιστα parce que c’est la leçon des manuscrits secondaires — c’est-à-dire, en somme, des extraits plus ou moins fidèles — des Pensées. Le Vaticanus, qui nous en donne le texte intégral, et le Darmstadinus, qui vient le second dans l’ordre de la valeur, portent λίαν ἀξιοπιστότατα, qui n’est pas admissible, et qui permet peut-être de douter d’ἀξιόπιστα. — Les diverses corrections proposées ne modifient que très légèrement le sens.]
  4. Je dois reconnaître que le mot que je traduis ainsi, τὴν ἱστορίαν, n’a guère de sens dans cette phrase. Reiske a proposé τερθρείαν, qui est ingénieux, et semble confirmé par καταγοητεύει, qui vient un peu plus loin. On pourrait essayer d’autres corrections, par exemple τερατείαν, qui est plus ordinaire, et, je le crois, plus naturel ici.
  5. [Ce mot « catégorie » ne doit pas plus être pris dans son acception philosophique que le mot γενικώτατα du texte grec, qu’il peut traduire dans les deux sens. On nous dit (textes cités dans Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 91) que les Stoïciens avaient