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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

ô homme, si jamais tu dois le faire[1], ce que la nature réclame [maintenant][2] de toi. Entreprends l’œuvre qui t’est donnée[3] et ne regarde pas autour de toi si on le sait. N’espère pas la république de Platon. Sois satisfait si les choses font un pas en avant, et considère ce résultat comme un succès. Qui pourra, en effet, changer les principes sur lesquels se règlent les hommes ? Et pourtant, en dehors de ce changement, y a-t-il autre chose que servitude, gémissements, convictions feintes ? Et maintenant, parle-moi d’Alexandre, de Philippe, de Démétrius de Phalère. Je les suivrai[4] s’ils ont compris la volonté de la nature universelle, s’ils ont su être leurs propres pédagogues. S’ils n’ont, au contraire, été que des acteurs tragiques, personne ne m’a condamné à les imiter. L’œuvre de la philosophie est simple et modeste ; ne me pousse pas à l’orgueil.

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Regarde de haut ces troupeaux innombrables, ces innombrables cérémonies, toutes ces traversées entreprises sur des mers orageuses ou tranquilles, cette variété de gens qui naissent, vivent autour de loi, et meurent. Pense aussi à tous les autres qui ont vécu autrefois, et à ceux qui vivront après toi, et à ceux qui vivent en ce moment chez les peuples barbares. Que d’hommes ne connaissent même pas ton nom ! Combien l’oublieront bien vite ! Combien, après t’avoir loué peut-être aujourd’hui, te dénigreront demain ! Conclus que rien n’a aucun prix, ni la mémoire des hommes, ni la gloire, ni quelque autre chose que ce soit.

  1. [Au lieu de τί ποτε, dont le sens est peu satisfaisant, M. Couat a lu εἴ ποτε. — Je préfère cette conjecture à celle de M. Rendall (Journal of Philology, XXIII, 151) qui prétend corriger une digraphie en lisant : τί ποτε ποιῇς ὃ νῦν…, au lieu de : τί ποτε ; ποίησον, ὃ νῦν… Que signifierait dans la leçon de M. Rendall νῦν en face de τί ποτε ?]
  2. [Le mot νῦν, oublié par M. Couat, me semble avoir ici la même importance que les mots παρούσῃ, et παροῦσα aux pensées VII, 57, et IX, 6, où ils sont chacun exprimés trois fois.]
  3. [La conjecture de M. Couat est ici celle même de M. Rendall (ibid.) : ὄρμησον ὃ ἂν διδῶται, au lieu de : έὰν διδῶται.]
  4. [Couat : « qui sait s’ils ont compris… ? » — Je ne puis retrouver la correction que suppose cette traduction. Le texte (ὄψονται εἰ εἶδον) me semble d’ailleurs inintelligible. J’ai admis la lecture de M. de Wilamowitz, ἔψομαι. Un peu plus haut, en écrivant : « qui pourra changer les principes ? », ce qui suppose la correction dans le texte de μεταϐάλλει en μεταϐαλεῖ, M. Couat s’était rencontré avec lui.]