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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

doit s’écouler heureuse. On regarde, en effet, comme heureux le citoyen qui s’avance dans la vie en étant utile à ses concitoyens et qui accueille avec empressement toute part que lui fait la cité.

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Toutes les parties du tout qu’est le monde[1] sont nécessairement condamnées à la destruction ; mais, par ce mot, je veux dire le changement[2]. Si cette nécessité est un mal pour elles, l’univers est donc mal ordonné[3], puisque ses parties, s’acheminant vers cette transformation, sont faites[4] pour être finalement détruites de mille manières. La nature se serait ainsi appliquée à faire [elle-même] du mal aux parties dont elle est constituée, et en les exposant au mal et en les obligeant à y tomber : ou bien cette destruction aurait lieu sans qu’elle s’en aperçût ! Les deux hypothèses sont invraisemblables. Veux-tu[5], laissant là le rôle de la nature, t’en tenir à cette explication : « C’est ainsi »[6] ? Même alors, il serait ridicule de

  1. [Τοῖς μέρεσι τοῦ ὅλου, ὅσα φυμὶ περιέχεται ὑπὸ τοῦ κόσμου. M. Couat a supprimé ici le mot φημὶ, qui n’a pas de sens et que Coraï avait voulu corriger en φύσει. Entre τοῦ ὅλου et ὑπὸ τοῦ κόσνου, φὐσει serait d’ailleurs un pléonasme à peine tolérable. Deux lignes plus loin, le même φημὶ est également absurde : la correction en φὐσει se défend mieux à cette place. M. Couat n’a pas cru devoir l’y admettre davantage. — Je respecte volontiers son scrupule. On peut supposer que φημὶ aura été, les deux fois, écrit par mégarde sous la dictée d’une personne qui, ne se croyant pas entendue, avait répété les derniers mots dictés, en les annonçant par le verbe : « Je dis. »

    Il y a identité de sens absolue entre les expressions τοῦ ὅλου et τοῦ κόσμου. Aussi ai-je rejeté une variante de M. Couat, qui semble impliquer la pluralité des mondes : « Toutes les parties de l’univers dont se compose notre monde. »]

  2. [Et, plus précisément, le changement des éléments, ἀλλοίωσις (cf. supra IV, 3, note finale). C’est la doctrine même d’Héraclite : γῆς θάνατος, ὕδωρ γενέσθαι κτλ. (cf. supra IV, 26). J’admets volontiers, deux lignes plus bas, la correction demandée par Gataker d’ἀλλοτρίωσιν en άλλοίωσιν.]
  3. [Et, par conséquent, ne mérite pas le nom de monde.]
  4. [Κατεσκευασμένων. Noter ici encore le rapprochement des mots κατασκευάζεσθαι et φύσις, et l’idée de finalité impliquée dans celle de « constitution » (supra VI, 44, note finale). Le mot « constituées » accuserait donc ici, plus nettement que tout autre, la contradiction dont Marc-Aurèle tire argument. Mais, M. Couat l’ayant de lui-même ajouté à la phrase suivante, j’ai pu respecter sa traduction.]
  5. [Couat : « Que si, méconnaissant les intentions de la nature, on donnait pour explication de ce fait que c’est un mal nécessaire, ne serait-il pas ridicule… » — Ces lignes traduisent une série de conjectures empruntées aux Adnotationes Mori (Leipzig, 1775). Il m’a paru qu’on pouvait faire l’économie d’une ou deux. Je me suis borné à corriger καὶ ἀφέμενος τῆς φύσεως, qui est inintelligible, en ἀφέμενος τὸ τῆς φὐσεως, et, une ligne plus bas, à accentuer καὶ ὣς.]
  6. [περυκέναι ταῦτα. Ce n’est plus un Stoïcien qui parle, puisqu’il ne conçoit plus la φύσις comme une Providence. L’« explication » (ἐξηγοῖτο) n’explique rien : ce n’est que l’affirmation d’un fait qu’on ne discute pas. Pour celui qui dirait ici πεφυκέναι, la φύσις peut avoir le même sens que pour tant d’Épicuriens qui proclament le