27
Ne cesse pas de te dire que toutes choses ont toujours été telles qu’elles sont aujourd’hui, et qu’elles seront telles encore dans l’avenir. Mets-toi devant les yeux toutes les comédies et toutes les scènes semblables que tu connais par ta propre expérience et par l’histoire, toute la cour d’Hadrien, toute celle d’Antonin, toute celle de Philippe, d’Alexandre, de Crésus. Ces spectacles étaient tous pareils ; les acteurs seuls ont changé.
28
Figure-toi bien que celui qui s’afflige ou s’irrite à propos de quoi que ce soit ressemble au porc que l’on égorge et qui regimbe et crie. De même celui qui, étendu sur son lit, gémit en silence sur les liens qui nous enchaînent. L’obéissance volontaire à tout ce qui lui arrive est le privilège réservé à l’animal raisonnable ; l’obéissance, volontaire ou non[1], est une nécessité pour tous.
- ↑ [Couat : « la simple obéissance. » — Il semble que ces mots soient la traduction littérale de τὸ δὲ ἕπεσθαι ψιλόν : mais, si on l’oppose à l’obéissance volontaire, n’est-il pas naturel d’entendre par la « simple obéissance » l’abdication de toute liberté ? Cette seconde expression est au moins ambiguë, puisqu’à cause d’elle on est un moment tenté de compléter ainsi la phrase finale de la pensée : « la simple obéissance est une nécessité pour tous les autres. » Or, le texte ici est fidèlement conservé, et Marc-Aurèle a bien dit ce qu’il voulait dire. L’homme libre, à ses yeux, doit obéir, lui aussi, car on peut être libre en obéissant (supra VI, 42, et les notes ; infra XI, 20, note finale). Il n’y a pas lieu, comme l’a fait Sénèque, de corriger le « parere Deo » ; le mot adsentior, « je consens, » dont le Stoïcien est si fier, n’est exact qu’à la condition de ne pas être donné comme la négation de la nécessité d’obéir. (Ad Lucilium, 96 : « Non pareo Deo, sed adsentior. Ex animo illum, non quia necesse est, sequor. »)]
aux actions qui lui sont soumises, » — ἡ κατακρατοῦσα τῶν ὑποτασσομένων ἐνεργειῶν. — En d’autres termes, c’est un mode d’activité. Cette interprétation pourrait du moins s’appuyer sur l’usage constant de Marc-Aurèle, qui, dans l’homme, défini par une αἰτία, appelle δύναμις toute fonction de l’âme vivante (ἀναπνευστικὴ δύναμις, VI, 15) et toute faculté de l’âme raisonnable (έπιστημονικὴ δύναμις, V, 9 ; ὑποληπτικὴ δύναμις, III, 9 ; λογικὴ δύναμις, VII, 72), et, dans la nature, cause universelle, tout ce que nous entendons nous-mêmes par les « forces naturelles », la pesanteur, par exemple, citée ici. Il est facile aussi d’accorder cette explication avec le présent texte. On peut, en définitive, considérer comme subordonnées les unes aux autres les δύναμεις et les αἰτίαι. Toute force est soumise à la raison universelle ; mais tout principe efficient, toute cause particulière dépend d’une force de la nature. C’est une même force qui relie les métamorphoses de notre principe efficient depuis la conception jusqu’à la mort ; mais c’est à un même principe efficient — composé lui-même de l’assemblage essentiellement instable de nombreuses causes secondaires — que nous rapportons toutes les forces, tous les modes d’action que manifeste notre vie, tant animale que raisonnable.]