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la guerre des boutons


— Ben, puisque tu le sais, dis-nous ça, ma vieille, ça doit être sûrement passe que c’est rien qu’une sale bande de foutus cochons.

— Tout juste des fainéants et des gouris[1] ! Et ils ont osé traiter les Longevernes de voleurs encore par-dessus le marché ces salauds-là.

— Ah ! par exemple, quel toupet !

— Oui, fit La Crique continuant. Quant à pouvoir dire au juste l’année où que c’est arrivé, je peux pas, le vieux Jean-Claude y sait pas non plus, personne ne se rappelle ; pour savoir, il faudrait regarder dans les vieux papiers, dans les archives, qu’ils disent, et je sais pas ce que c’est que ces cochonneries-là.

« C’était au temps où qu’on parlait de la Murie. La Murie, voilà, on ne sait plus bien ce que c’est ; peut-être une sale maladie, quelque chose comme un fantôme qui sortait tout vivant du ventre des bêtes crevées qu’on laissait pourrir dans les coins et qui voyageait, qui se baladait dans les champs, dans les bois, dans les rues des villages, la nuit. On ne la voyait pas : on la sentait, on la reniflait ; les bêtes meuglaient, les chiens jappaient à la mort quand elle était par là, aux alentours, à rôder. Les gens, eux, se signaient et disaient : « Y a un malheur qu’est en route ! » Alors, au matin, quand on l’avait sentie passer, les bêtes qu’elle avait touchées dans leurs étables tombaient et périssaient,

  1. Gouris, gorets.