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la guerre des boutons


bâillait à la cotisse[1] et la manche déchirée dont manquait le morceau était un irrécusable témoin de la lutte terrible qu’avait soutenue le guerrier.

Quand il fut tant bien que mal regaupé[2], jetant sur son accoutrement un coup d’œil mélancolique et évaluant en lui-même la quantité de coups de pied au cul que lui vaudrait cette tenue, il résuma ses appréhensions en une phrase lapidaire qui fit frémir jusqu’au cœur toutes les fibres de ses soldats :

– Bon Dieu ! ce que je vais être cerisé[3] en rentrant !

Un silence morne accueillit cette prévision. Le groupe évidemment ne voyait pas d’objections à faire et, dans la nuit qui tombait, ce fut la sabotée lamentable et silencieuse vers le village.

Que différente fut cette rentrée de celle du lundi ! La nuit morne et pesante alourdissait leur tristesse ; pas une étoile ne se levait dans les nuages, qui, tout à coup, avaient envahi le ciel ; les murs gris qui bordaient le chemin avaient l’air d’escorter en silence leur désastre ; les branches des buissons pendaient en saule pleureur, et eux marchaient, traînaient les pieds comme si leurs semelles eussent

  1. Cotisse, col.
  2. Regaupé, rajusté.
  3. Cerisé, signifie apparemment secoué, comme le serait un cerisier, et même plus.