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plusieurs poètes réunis chez elle, une poésie d’environ quatre-vingt vers. C’étaient les vers d’un de ces brigands, de ces hommes de proie et de sang, que sa tribu avait jeté à la malédiction de toutes les autres tribus. Le pillard chante son amour, ses inquiétudes amoureuses, ses goûts de rapines. Aïchah, lorsqu’on eut fini de lire cette poésie du sauvage ribaud, resta toute émue, émerveillée : « A celui de vous, dit-elle subitement à ses poètes, qui sera capable d’ajouter à cette kacîdeh, un vers, un seul vers, qui soit dans la couleur et la portée de l’ensemble, je donne toute cette parure que j’ai sur moi. »

On garda le silence ; personne n’accepta le défi.

Le mouvement d’admiration de cette Aïchah, hommage rendu à la supériorité de la poésie antéislamique, est un des traits nombreux qui rappellent ce qu’étaient les femmes de l’Arabie d’autrefois, ce qu’elles avaient d’amour pour la poésie, pour la gloire des armes et des vers.

Il y a là aussi une preuve que les premières années de l’Islamisme étaient encore imprégnées, imbibées des goûts poétiques de la gentilité arabe, qu’il y avait encore des femmes d’étude, d’érudition, d’esprit, des femmes lettrées. En elles s’agitait un reste de cette âme poétique qui jadis passionnait, enthousiasmait les belles pèlerines du désert païen. Aux premières époques de l’Islamisme, et, il faut bien le dire, malgré l’Islamisme dans sa verte jeunesse, il y avait donc encore, par devers les rives orientales du golfe Arabique, des Du Défiant, des Geoffrin, des Du Châtelet, tenant salon de littérateurs et centres de beaux esprits, réunions d’érudits. Dans de longues causeries, dans des réminiscences des congrès poétiques si célèbres au Hédjâz, ces fêtes olympiques de l’Arabie, on évoquait les souvenirs de ces poètes païens qui, entre les espaces des tentes avaient charmé de leurs récits et de leurs vives improvisations, les guerriers, les sages et les princes