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Page:Pert - En anarchie.djvu/21

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D’ailleurs elle n’insista pas.

— Rue Armand-Carrel, 23, répéta-t-elle. Eh bien, j’irai vous voir.

Puis, sans un adieu ni un signe, elle le quitta, retournant d’un pas indifférent sur le trottoir large où la foule passait et repassait devant les riches magasins.

Au milieu de la chaussée, des tramways filaient avec rapidité, jetant des coups de sifflet aigus, leurs rails séparant le quai en deux zones bien distinctes. D’un côté, l’industrie, le grouillement ouvrier, le labeur rude et sans trêve ; de l’autre, les boutiques regorgeant de ruineuses inutilités, la masse paresseuse des bourgeois et de leurs femmes promenant leur oisiveté, et leurs toilettes

Émile continua sa route, irrité contre lui-même, furieux des sentiments qui se heurtaient en lui.

Était-ce faiblesse, à lui, prolétaire, d’accepter le caprice d’une bourgeoise ?… ou bien, au contraire, n’était ce pas donner un soufflet aux riches que de prendre une de leurs sœurs ?…

Car, il ne s’y méprenait point, c’était une audacieuse, une cynique, mais non pas une fille… C’était bien réellement une enfant de bourgeois, une femme de ces classes qui depuis des siècles écrasaient ses frères à lui !… Oh ! la prendre !… faire l’amour avec elle comme avec la dernière des souillons, ne serait-ce pas exquis !…

Pourtant, un malaise l’emplissait, car, en même temps qu’il ressentait une joie d’humilier cette femme, il éprouvait aussi une gratitude immense pour elle, une vanité de ce qu’elle voulût bien descendre jusqu’à lui !…