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Page:Pert - L Autel.djvu/248

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plus sur l’écrivain, sans qu’il se sentît le pouvoir d’y parer. Parfois, il s’affolait, tremblait, pris de vertige devant le tourbillon qui l’emportait, dompté, impuissant pour lutter contre cette force surhumaine. Avec une détresse croissante, il notait la déperdition rapide de sa valeur intellectuelle, le désagrégement de sa pensée, la fuite de ses facultés heureuses d’autrefois, l’anémie brusque, la mort de ses tendances nobles, de ses élans, de ses enthousiasmes d’artiste. Il sentait le développement de son talent arrêté, sa personnalité atrophiée par l’ambiance mauvaise. Il comprenait, effrayé et désespéré que, désormais, il ne pourrait plus donner aucune œuvre jaillie de son cœur, mais seulement de ces échafaudages factices et adroits, à la savante préparation, qu’élaborent des cerveaux blasés et usés, non par la production et l’effort intérieur de la pensée, mais par l’âpre combat extérieur, le pugilat féroce commandé par l’arrivisme universel. Il se reconnaissait déjà l’âme défraîchie de ses contemporains.

Et à côté du deuil qu’il menait de son talent sincère, de l’homme qu’il avait failli être, et qui avait sombré, il y avait encore l’épouvante, de minute en minute plus : dominante, plus lancinante, du pain à gagner, de sa vie et de celle de Suzanne à assurer. Sous le mensonge perpétuel d’une existence presque brillante, c’était la pire angoisse… l’éternelle préoccupation mesquine, mais obsédante et exaspérante, qui, à la fin, submergeait irrésistiblement toute pensée plus haute, toute douleur plus profonde.

Gagner !… il fallait gagner de l’argent !…

Non point pour acquérir du luxe, des jouissances supplémentaires ; simplement pour manger demain, pour garder le toit qui abrite, pour remplacer le vêtement que