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Page:Pert - L Autel.djvu/273

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s’est développée avec une rapidité extraordinaire, au moral comme au physique.

Suzanne eut un petit rire où transparaissait un imperceptible blâme.

— Dame, tu lui laisses tout lire !…

— Tout… certes, non, fit doucement Henriette. Mais, j’ai trop souffert autrefois de mon ignorance de la vie et des êtres pour ne pas vouloir avertir et armer ma fille…

Dolle hocha la tête.

— Évidemment, cela est tentant en théorie… Reste à savoir si la jeune fille ayant mesuré d’avance toutes les laideurs matérielles et morales de l’existence et de l’humanité, gardera le ressort, le désir de vivre nécessaires…

Suzanne s’écria :

— Oui, voilà l’écueil de l’éducation des jeunes filles telle que, peu à peu, on arrive à la comprendre… Est-ce que, sous prétexte de leur épargner des désillusions et des fautes, on ne les prive pas de tout ce qui fait la saveur intense de quelques années ?… Ne vaut-il pas mieux souffrir de déceptions que de n’avoir jamais connu d’illusions et par conséquent de joies ?… Si un jour l’on doit expier, payer des heures de bonheur aveugle, n’est-il pas préférable de les avoir au moins goûtées ?… Est-ce exister que de vivre éternellement d’une vie nette, désabusée, perspicace, clairvoyante, nue comme un mur d’hôpital !…

Julien hocha la tête.

— Il y a du vrai en cela… Sans le mirage, l’inconnu dans lequel nous avançons, qui voudrait, qui pourrait se résigner à vivre !…

Henriette répondit avec lenteur, les yeux perdus dans l’immensité lumineuse de l’horizon :

— Je ne suis pas du tout de votre avis… Je crois qu’au contraire tous nos maux, toutes nos souffrances provien-