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Page:Pert - L Autel.djvu/309

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En son bouleversement dominait un affreux écœurement de l’existence, une horreur de lui-même, cet âpre souhait d’anéantissement brusque, définitif, qu’éprouvent parfois les êtres que le courant impérieux, inéluctable de la vie emporte malgré eux, submerge, roule sur un fond de boue dont ils perçoivent toute l’horreur visqueuse, nauséabonde, impuissants néanmoins à remonter à la surface.

Et, devant ce trouble qui les unissait obscurément, le cœur de La Boustière creva.

— Je l’aimais tant !… C’avait été en moi une éclosion spontanée, irrésistible !… Je l’aimais comme si elle avait été mon enfant, et aussi comme quelqu’un de supérieur à l’humanité !… C’était une femme telle que je n’en avais jamais rencontré, et c’était le génie… C’était, vivante, ma chimère… C’était, dressée devant moi, la statue animée de tous les rêves de mon existence d’isolé, de paria… Car, je n’ai jamais été aimé, pas plus dans ma famille que par les femmes… et toujours j’ai dû me méfier, m’écarter des démonstrations menteuses et vénales que ma fortune m’attirait… Pas une fois je n’ai senti une sympathie sincère… tous, hommes et femmes, m’ont dédaigné… Je n’ai pas un ami… je n’ai jamais eu de maîtresse… Partout et toujours je n’ai connu que les relations banales, la poignée de main de l’indifférent, le baiser las et hostile de la fille accostée un soir de marasme et d’exaspération…

Interminablement coula sa lamentation, tantôt criée, tantôt balbutiée, sa plainte angoissée, qui fluait comme le sang d’une plaie ouverte.

Enfin, Robert releva la tête. Depuis longtemps, il n’écoutait plus l’autre homme qui gémissait et, en lui, l’émotion première s’était évaporée.