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Page:Pert - La Petite Cady.djvu/50

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rieuse fleur précoce de civilisation, adorable et troublant petit monstre.

Elle glissa comme une ombre dans le corridor, gagnant les appartements de réception, le cœur bat- tant de la crainte de rencontrer sa mère.

Elle souleva doucement la portière du fumoir et étudia la pièce avec une méfiance prudente avant de s’y hasarder.

Sept ou huit hommes qu’elle connaissait presque tous y étaient réunis, assis ou debout, par groupes sympathiques, leur tête émergeant vaguement de l’épais brouillard de fumée bleuâtre.

Cady respira avec délices cette atmosphère surchargée de tabacs divers et de liqueurs multiples qui l’enivrait tout de suite complément nécessaire des jouissances obscures et aiguës qu’elle goûtait dans la compagnie d’hommes qui l’adoraient et la traitaient ainsi qu’un jouet vivant. Une tacite discrétion assurait l’impunité à la fillette pour ces visites ignorées de Mme Darquet.

Elle allait s’élancer vers son père, lorsqu’une main l’arrêta au passage, tandis qu’une grosse voix s’écriait gaiement :

— Voilà enfin notre petit démon ! Tu as bien tardé, ce soir, Cady ?… Que faisais-tu ? Tu endormais ta poupée ?

Coquette et souple, Cady se laissa asseoir sur les genoux du vieillard qui lui parlait et qui n’était autre que le sénateur Le Moël, dont les on-dit faisaient son grand-père.

Il portait gaillardement ses soixante-douze ans. Admirablement charpenté, avec un tempérament de bronze, il résistait depuis plus d’un demi-siècle à une noce et un labeur réunis qui eussent écrasé tout autre.

— Je ne joue pas à la poupée ! déclara la fillette avec dédain.

— Alors, tu flirtes ? railla Le Moël, la couvrant d’yeux attendris et égrillards.