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substantiel. En course, je ne mange presque pas. En tout cas, rien que des choses légères et faciles à digérer. Je raffole tout particulièrement de la crème de riz qui me réussit admirablement et qui me permet d’éviter toute défaillance provenant de la vulgaire « fringale ».

On a dit que je me droguais. C’est un pur mensonge. Et d’ailleurs c’est une affirmation qui ne tient pas debout. Comment voulez–vous, en effet, que la drogue agisse pendant plusieurs heures. Passe pour un sprint qui nécessite un violent effort. Mais sur la route la chose n’est pas admissible et, en tout cas, je mets au défi n’importe quel coureur de se droguer pendant les vingt–huit jours que dure le Tour de France. Il n’y a pas un estomac pour résister à semblable régime.

Le plus clair de l’histoire c’est que quand on est en forme, qu’on le veuille ou pas, on s’y trouve. Reste la question de confiance. Je ne l’avais pas les précédentes années, ou plutôt je ne l’avais que quand je me sentais en état d’infériorité avec mes camarades. Je me tenais alors le raisonnement suivant : « Ah ! tu ne peux lutter à armes égales avec les autres ! Ah ! ils doivent nécessairement te décoller. Eh bien ! nous allons voir ! ».

Et, fort de ce raisonnement, mes rivaux ne me décollaient pas, sauf pourtant quand je me sentais une chance de premier ordre dans une course quelconque.

J’étais, dans ce cas, victime d’une bizarre condition. D’abord je ne dormais pas la veille de l’épreuve. Ensuite, j’étais incapable de fournir un effort. Il me semblait que j’avais le cœur d’un volume extraordinaire et que je ne pouvais plus respirer. Enfin, je n’étais plus le même homme que la veille et ce que je faisais vingt-quatre heures auparavant, et qui semblait extraordinaire, il m’était impossible de l’exécuter le jour de la course.

C’est à force de volonté et de travail que je suis arrivé a me débarrasser de ce vilain défaut.