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[1203] de la conqueste

vale ny si belle ny en si grand nombre de vaisseaux ; en sorte qu’il n’y avoit personne qui ne jugeast en la voyant qu’elle ne deust conquerir tout le monde, la mer, tant que la veuë se pouvoit étendre, estant couverte de voiles et de navires : en sorte que cela faisoit plaisir à voir.

63. Ils cinglérent de la sorte en pleine mer, tant qu’ils vinrent au cap de Malée, qui est un détroit vers la Morée, où ils rencontrérent deux navires chargez de pelerins, de chevaliers et de gens de pied, qui retournoient de Syrie, et estoient de ceux qui s’estoient allez embarquer au port de Marseille : lesquels, quand ils apperçeurent cette belle et magnifique flotte, en eurent une telle honte qu’ils ne s’ozérent monstrer. Le comte de Flandres envoya l’esquif de son vaisseau pour les reconnoistre, et savoir quelles gens c’estoient, ce qu’ils declarèrent. Et à l’instant un soldat se laissa couler du navire où il estoit dans l’esquif, et dit à ceux de sa compagnie : « Je reclame tout ce que vous avez du mien dans ce vaisseau, car je m’en veux aller avec ceux-cy qui me semblent bien estre en estat de conquerir. » On luy en sceut fort bon gré, et le receut-on dans l’armée de bon œil. C’est pourquoy avec raison on dit en commun proverbe : Que de mil mauvais chemins on peut se remettre au bon quand l’on veut.

64. Ils passérent de là jusques en Negrepont, qui est une isle où il y a une bonne ville de mesme nom. Là les barons tinrent conseil : et ensuitte le marquis Boniface de Montferrat, et le comte de Flandres avec une partie des navires et galéres, et le prince de Constantinople tirérent à la volte d’Andros, où ils descen-