192. Neantmoins la pluspart estoient si épouvantez, qu’ils s’enfuioient devant eux jusques dans leurs loges et leurs pavillons, sans qu’il fût possible de les retenir. Enfin la fuitte cessa, et les nostres se rasseurerent aucunement. Les Comains de leur part arrestérent leurs courses, comme aussi les Valaches et les Grecs qui leur avoient ainsi donné la chasse avec tant de vigueur, et les avoient tant travaillez par leurs arcs et leurs fléches. Les nostres demeurérent fermes en ordonnance de bataille, sans avancer ny reculer, et furent en cette contenance jusques au soir, que les Comains et les Valaches commencérent à se retirer.
193. Lors Geoffroy, mareschal de Champagne et de Romanie, envoya au duc de Venise, qui estoit un personnage de grand vigueur, et orné d’une prudence singuliere, mais qui estoit privé de l’usage de la veuë, et lui manda qu’il se rendit promptement en l’armée, et se joignit à luy, ce qu’il fit. Le mareschal le tirant à part luy tint ce discours : « Sire, vous voyez le malheur qui nous est arrivé ; nous avons perdu l’empereur Baudoüin et le comte de Blois, et la pluspart de nos gens et des meilleurs. Il nous faut désormais aviser à sauver le reste de ce débris, estant indubitable que si Dieu ne nous favorise d’une grace particuliere, nous sommes tous perdus. » Là dessus ils resolurent que l’on reprendroit le chemin du camp pour rasseurer les esprits des soldats esbranlez par cette deffaite, que chacun seroit sous les armes dans les tentes et les loges, et que Geoffroy, mareschal de Champagne, se tiendroit hors des barriéres avec ses trouppes en ordonnance de bataille, jusques à ce que la nuit arriveroit, puis quitteroient la ville et trousseroient bagage pour s’en retourner.