Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 4.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
466
ANCIENS MÉMOIRES

pour luy tant de zele. La generosité qu’il fit éclater à l’égard de ces dix prisonniers et de leur hôte, augmenta beaucoup la reputation de Bertrand ; car moins ingrats que les dix lepreux de l’Évangile, ils publierent par tout cette innocente profusion qu’il avoit faite en leur faveur. Cette conjoncture en fit naître une belle occasion ; car ces dix hommes rentrans dans Bordeaux, fort avantageusement montez et fort lestement équipez, on alla s’imaginer qu’il falloit qu’ils eussent détroussé les passans et fait quelque vol considérable sur les grands chemins, pour s’être sitôt remis en si bon état. On les menaça même de les accuser devant le senéchal et de les faire pendre comme des scelerats.

Ils furent citez devant luy pour rendre compte de leur conduite, et comment il se pouvoit faire qu’en si peu de temps ils eussent trouvé tant d’argent. Ces gens luy revelerent le mystere, et luy firent un recit exact des honnêtetez que Bertrand leur avoit faites, et un détail fort circonstancié de tout ce qui s’étoit passé chez leur hôte, où il ne s’étoit pas contenté de manger indifferemment avec eux, mais même leur avoit donné dequoy payer leur rançon, se monter, s’armer, s’habiller et se défrayer. Ils ajoûtèrent que ses liberalitez s’étoient étenduës jusqu’à leur hôte même, auquel il avoit fait compter la somme de mille livres en leur presence, parce qu’il les avoit bien regalez pour l’amour de luy. Le sénéchal, apprenant touttes ces honnêtetez de Bertrand, ne pouvoit comprendre comment un si laid homme pouvoit avoir une ame si bien faite, et se rendit de ce pas au dîner du prince et de la princesse de Galles, ausquels il fit part de cette nouvelle, en pre-