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[1648] MÉMOIRES

l’un et l’autre avec assez de mépris ; et je leur en rendis compte effectivement : ce qu’ils reçurent l’un et l’autre avec beaucoup de colère. Celle du cardinal s’adoucit au bout de quelques jours, mais ce ne fut qu’en apparence : elle ne fit que se déguiser. J’en connus l’art, et j’y remédiai ; car comme je vis qu’il ne se servoit des avis que je lui donnois que pour faire croire dans le monde que j’étois intimement avec lui pour lui rapporter ce que je découvrois, même au préjudice des particuliers, je ne lui parfois plus de rien que je ne disse publiquement à table, en revenant chez moi. Je me plaignis même à la Reine de l’artifice du cardinal, que je lui démontrai par deux circonstances particulières. Et ainsi, sans discontinuer ce que le poste où j’étois m’obligeoit de faire pour le service du Roi, je me servis des mêmes avis que je donnois à la cour, pour faire voir au parlement que je n’oubliois rien pour éclairer le ministère, et pour dissiper les nuages dont les intérêts des subalternes et la flatterie des courtisans ne manquent jamais de l’offusquer.

Comme le cardinal eut aperçu que j’avois tourné son art contre lui-même, il ne garda presque plus de mesures avec moi ; et un jour entre autres que je disois à la Reine, devant lui, que la chaleur des esprits étoit telle qu’il n’y avoit plus que la douceur qui les pût ramener, il ne me répondit que par un apologue italien, qui porte qu’au temps que les bêtes parloient, le loup assura avec serment à un troupeau de brebis qu’il les protégeroit contre tous ses camarades, pourvu qu’une d’entre elles allât tous les matins lécher une blessure qu’il avoit reçue d’un chien. Voilà le