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DU CARDINAL DE RETZ. [1648]

la rue de l’Arbre-Sec. Je me jetai dans la foule pour essayer de les séparer, et je crus que les uns et les autres porteroient au moins quelque respect à mon habit et à ma dignité. Je ne me trompai pas absolument : car le maréchal, qui étoit fort embarrassé, prit avec joie ce prétexte pour commander aux chevau-légers de ne plus tirer. Les bourgeois s’arrêtèrent, et se contentèrent de tenir ferme dans le carrefour. Mais il y en eut vingt ou trente qui sortirent avec des hallebardes et avec des mousquetons de la rue des Prouvelles, qui ne furent pas si modérés, et qui, ne me voyant pas ou ne me voulant pas voir, firent une décharge fort brusque sur les chevau-légers, cassèrent d’un coup de pistolet le bras à Fontrailles qui étoit auprès du maréchal l’épée à la main, blessèrent un de mes pages qui portoit le bas de ma soutane, et me donnèrent à moi-même un coup de pierre au dessous de l’oreille, qui me porta par terre. Je ne fus pas plutôt relevé, qu’un bourgeois m’appuyant un mousqueton sur la tête, quoique je ne le connusse point du tout, je crus qu’il étoit bon de ne le lui pas témoigner dans ce moment ; et je lui dis au contraire : « Ah, malheureux ! si ton père te voyoit… » Il s’imagina que j’étois le meilleur ami de son père, que je n’avois pourtant jamais vu. Je crois que cette pensée lui donna celle de me regarder plus attentivement ; mon habit lui frappa les yeux : il me demanda si j’étois M. le coadjuteur. Tout le monde fit le même cri ; l’on courut à moi ; et le maréchal de La Meilleraye se retira avec plus de liberté au Palais-Royal, parce que j’affectai, pour lui en donner le temps, de marcher du côté des Halles. Tout le monde