Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/149

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peur pour vous, c’est qu’il commence à être cru par une espèce de gens dont l’opinion forma toujours avec le temps la réputation publique. Ce sont ceux qui ne sont ni frondeurs ni mazarins, et qui ne veulent que le bien de l’État. Cette espèce de gens ne peut rien dans le commencement des troubles : elle peut tout dans les fins. » Il n’y a rien, comme vous voyez, de plus sensé que ce discours ; mais comme il ne m’étoit pas tout-à-fait nouveau, et que j’avois déjà fait beaucoup de réflexions qui au moins en approchoient, il ne m’émut pas au point du dernier mot par lequel il le termina. « Voici d’étranges conjonctures, ajouta-t-il. Il est d’un homme sage d’en sortir avec précipitation et même avec perte, parce que l’on court fortune d’y perdre tout son honneur, quoique l’on s’y conduise avec toute sorte de sagesse. Je doute fort que le connétable de Saint-Paul[1] ait été aussi coupable et ait eu d’aussi mauvaises intentions qu’on nous le dit. » Cette dernière parole, qui est d’un sens droit et profond, me pénétra d’autant plus que le père don Carouges, chartreux, que j’avois été voir la veille dans sa cellule, m’avoit dit, à propos de la conduite que je tenois : « Elle est si nette, elle est si haute, que tous ceux qui n’en seroient pas capables, au poste où vous êtes, y conçoivent du mystère ; et dans les temps embarrassés et malheureux, tout ce qui passe pour mystère est odieux. » Je vous rendrai compte de l’effet que tous

  1. Le connétable de Saint-Paul : Louis de Luxembourg. Il abandonna le service de Louis XI pour passer à celui de Charles, duc de Bourgogne. Ayant été livré au Roi par ce dernier, il eut la tête tranchée sur la place de Grève le 19 décembre 1475.