Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/293

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me jeta la première épée qu’il trouva devant lui, en me criant que je la tirasse. Il tira la sienne et sortit, chargeant à coups d’estramaçon tout ce qu’il trouvoit devant lui. Tous les officiers et la soldatesque firent la même chose, parce qu’ils appréhendoient que la chiourme où il y avoit beaucoup de Turcs, ne relevât la galère, c’est-à-dire qu’ils ne s’en rendissent les maîtres, comme il est arrivé quelquefois en de semblables occasions. Quand tout le monde se fut remis à sa place il me dit, de l’air du monde le plus froid et le plus assuré : « J’ai ordre, monsieur, de vous mettre en sûreté ; voilà mon premier soin. Il faut y pourvoir. Je verrai, après cela si la galère est blessée. » En proférant cette dernière parole, il me fit prendre à foi de corps par quatre esclaves, et il me fit porter dans la felouque. Il y mit avec moi trente mousquetaires espagnols, auxquels il commanda de me mener sur un petit écueil qui paroissoit à cinquante pas de là, et où il n’y avoit place que pour quatre ou cinq personnes. Les mousquetaires étoient dans l’eau jusqu’à la ceinture : ils me firent pitié ; et, quand je vis que la galère n’étoit pas blessée je les y voulus renvoyer ; mais ils me dirent que si les Corses, qui étoient sur le rivage, me voyoient sans une bonne escorte, ils ne manqueroient pas de me venir piller et égorger. Ces barbares s’imaginent que tout ce qui fait naufrage est à eux.

La galère ne fut pas blessée : ce qui fut une manière de prodige. On ne laissa pas d’être, plus de deux heures à la relever. La felouque me vint reprendre, et je remontai sur la galère avec joie. Comme nous sortions du canal, nous aperçûmes encore la frégate,