Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceux qui roulent d’une montagne sont fracassés par les mêmes pointes des rochers auxquelles ils s’étoient pris pour y monter ; de même ceux qui tombent d’une fortune extrêmement élevée sont presque toujours ruinés par les moyens qu’ils avoient employés pour y arriver. Je sais bien que l’ambition chatouille incessamment les personnes de votre condition, de votre âge et de votre mérite ; et qu’elle ne vous met devant les yeux, en cette occasion que des images pompeuses et éclatantes de gloire et de grandeur. Mais en même temps que votre imagination vous représente tous les objets de cette passion qui fait les hommes illustres, il faut que votre jugement vous la fasse connoître aussi pour celle qui les rend d’ordinaire les plus malheureux et qui renverse les biens assurés pour courir après des espérances incertaines. Songez que si son juste usage fait les hautes vertus, son excès fait aussi les grands crimes. Imaginez-vous que c’est elle qui a autrefois mêlé tant de poisons et affilé tant de poignards contre les usurpateurs et les tyrans, et que c’est elle-même qui vous pousse maintenant à être le Catilina de Gênes.

« Ne vous flattez pas que le motif que vous avez de sauver la liberté de la république puisse être autrement reçu dans le monde que comme un prétexte commun à tous les factieux ; et quand il n’y auroit en effet que le zèle du bien public qui vous porteroit à ce dessein, n’espérez pas que l’on vous fasse la justice de le croire, puisque dans toutes les actions qui peuvent être attribuées indifféremment au vice ou à la vertu, quand il n’y a que la seule intention de celui qui les sait qui peut les justifier, les hommes, qui ne sauroient juger que par les apparences, expliquent rarement les plus innocentes en bonne part. Mais en celle-ci, de quel côté que l’on se tourne, il est impossible d’y voir autre choses que des massacres, des pillages, et des objets funestes que la meilleure intention du monde ne sauroit justifier. Apprenez donc à régler votre ambition ; souvenez-vous que la seule qui doit être suivie est celle qui se dépouille de son propre intérêt, et qui n’a pour but que son devoir. Il s’est trouvé bien des conquérans qui ont ravagé des États et renversé des couronnes, qui n’avaient pas cette grandeur de courage qui fait regarder