Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/51

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m’accompagnoient. Comme je n’avois pas encore reçu le bonnet, que les cardinaux français ne prennent que de la main du Roi, à qui le courrier du Pape est dépêché à cet effet, je ne pouvois plus marcher qu’incognito, selon les règles du cérémonial ; et ainsi, lorsque j’allois au Luxembourg, c’étoit toujours dans un carrosse gris et sans livrées ; et je montois même dans le cabinet des livres par le petit degré qui répond dans la galerie, afin d’éviter le grand escalier et le grand appartement. Un jour que j’y étois avec Monsieur, Bruneau y entra tout effaré, pour m’avertir qu’il y avoit dans la cour une assemblée de deux ou trois cents de ces criailleurs, qui disoient que je trahissois Monsieur, et qu’ils me tueroient.

Monsieur me parut consterné à cette nouvelle. Je le remarquai et l’exemple du maréchal de Clermont[1] assommé entre les bras du Dauphin, qui tout au plus ne pouvoit pas avoir eu plus de peur que j’en voyois à Monsieur, me revenant dans l’esprit, je pris le parti que je crus le plus sûr, quoiqu’il parût plus hasardeux ; parce que je ne doutai point que la moindre apparence que Son Altesse Royale laisseroit échapper à sa frayeur ne me fît assassiner ; et parce que je doutai encore moins que l’appréhension de déplaire à ceux qui crioient contre le Mazarin, dont il redoutoit le murmure jusqu’au ridicule, joint à son naturel

  1. L’exemple du maréchal de Clermont : En 1358 pendant la captivité du roi Jean, Étienne Marcel, prévôt des marchands, souleva le peuple de Paris contre le Dauphin ; depuis Charles V, chargé de la régence. Les révoltés, ayant à leur tête le prévôt, pénétrèrent dans l’appartement du Dauphin, et massacrèrent en sa présence Robert de Clermont, maréchal de Normandie ; et Jean de Conflans, maréchal de Champagne.