Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Loin de tous nos rivages, dans les fameuses îles Fortunées, il y a deux sources. Qui boit à l’une, meurt en riant ; qui boit à l’autre, n’éprouve aucun mal. Un cas semblable marque ma vie, car je pourrais mourir en riant du grand plaisir que j’éprouve, si des cris de douleur ne venaient tempérer ce plaisir. Amour, qui m’as jusqu’ici conduit à l’ombre d’une renommée occulte et sombre, nous ne parlerons pas de cette source qu’en tout temps nous voyons, mais qui est plus copieuse encore quand le soleil rejoint le signe du Taureau. Ainsi, mes yeux pleurent en tout temps, mais surtout quand je vois ma Dame.

Chanson, si quelqu’un voulait savoir ce que je fais, tu peux dire : il habite sous un grand rocher, dans une vallée close, d’où sort la Sorgue ; personne ne le voit, si ce n’est Amour qui ne le quitte jamais d’un pas, et l’image d’une dame qui le consume. Pour lui, il fuit tous les autres.


SONNET XC.

Il n’a pas le courage de dire à Laure : je t’aime ; il se résigne à l’aimer en silence.

Amour qui vit et règne en ma pensée, et qui a fait son principal séjour dans mon cœur, s’armant de courage, vient parfois se poser et se montrer sur mon front.

Celle qui m’apprend à aimer et à souffrir, et qui veut que la raison, la vergogne et la décence réfrènent le grand désir et l’espoir allumé, s’indigne en elle-même de notre audace.

Alors Amour, plein de peur, s’enfuit au fond de mon cœur, abandonnant complètement son entreprise,