Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/142

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ennemie soit toujours cruelle envers moi et de plus en plus belle.

Si je l’ai dit, qu’Amour épuise sur moi toutes ses flèches dorées, et sur elle toutes celles qui engendrent la haine ; si je l’ai dit, que le ciel et la terre, que les hommes et les dieux me soient hostiles, et qu’elle me soit toujours plus rebelle ; si je l’ai dit, qu’elle me fasse immédiatement mourir par son invisible flamme ; qu’elle reste avec moi ce qu’elle est d’habitude, c’est-à-dire ne se montre jamais ni plus douce ni plus compatissante, dans ses gestes ou dans son langage.

Si je l’ai jamais dit, que je trouve cette vie courte et rude, remplie de ce que je voudrais le moins ; si je l’ai dit, que la dévorante ardeur qui me fait mourir croisse en moi autant que la dure glace en elle ; si je l’ai dit, que jamais mes yeux ne voient le soleil éclatant ni sa sœur, ni dame, ni damoiselle, mais bien une terrible tempête, comme celle qui assaillit Pharaon poursuivant les Hébreux.

Si je l’ai dit, que tous les soupirs que j’ai poussés soient perdus, que toute pitié, que toute courtoisie soit morte pour moi ; si je l’ai dit, que le parler de Laure, si doux quand je me rendis vaincu, devienne âpre et cruel ; si je l’ai dit, que je déplaise à celle que je voudrais adorer, seul en une chambre obscure, depuis le jour où j’ai quitté la mamelle, jusqu’au jour où mon âme me quittera ; et peut-être le ferais-je.

Mais si je ne l’ai pas dit, que celle qui ouvre si doucement mon cœur à l’espérance en la saison nouvelle, dirige encore ma petite barque fatiguée avec le gouvernail de sa pitié naturelle ; qu’elle ne change pas, mais qu’elle reste comme elle a coutume d’être. Quand bien même je ne pourrais plus perdre que moi-même,